Ma vie dans un sac

Que représente le sac-à-dos pour les personnes sans domicile ? Alors que nous sommes entrés dans la période de la trêve hivernale, nous vous livrons le témoignage de ceux qui connaissent la galère, avec leurs joies et leurs tristesses.

Pouvez-vous vous présenter ? *
Dora, l’exploratrice de Wazemmes : J’ai 47 ans, je suis depuis 5 ans à Wazemmes, cela fait un an et demi que je suis à la rue.
Ali : Je viens de l’Ain. J’étais parti dans les pays scandinaves. J’avais un peu d’argent pour prendre un billet pour rentrer en France, je suis arrivé à Lille par hasard. Le 115 m’a aiguillé vers Magdala.
Lou : Je suis SDF.
Joséphine : Je suis originaire de Calais. Je suis à la rue. J’espère avoir mon pied à terre bientôt.

Qu’y a-t-il dans votre sac ?
Dora : J’ai tout dans mes poches. J’ai des sacs-à-dos dans plusieurs endroits mais je n’ai pas de sac sur moi.
Ali : Je n’ai même pas de sac mais si j’en avais un, j’y mettrais les dons reçus.
Lou : De l’eau, de la nourriture, une brosse à dents, du dentifrice : le minimum vital.
Joséphine : C’est un mix de sac entre Mc Giver et Mary Poppins ! Je trouve des trucs de fou dans les poubelles. La dernière fois : trois sacs de fringues de marque ! Même du maquillage Chanel

Avez-vous des besoins pour remplir votre sac ?
Dora : Un appart, mais ça ne va pas rentrer dans mon sac ! (rires)
Ali : Un appart, un travail. J’avais 4,50 euros, j’ai acheté un coupe-ongles dans une pharmacie. Il va me manquer 1 euro pour ouvrir mon compte pour commencer mes démarches pour le RSA.
Lou : Non, il faut être léger. Se trimballer avec un truc lourd, ça fatigue. Même ma couverture et mon sac de couchage, je les cache.

Quel serait votre sac idéal ?
Dora : Un sac avec plein de petits crochets où on peut accrocher toutes les bricoles qu’on trouve par terre : des élastiques, de l’argent, des bijoux, des clous. On a déjà fait des compétitions sur les objets les plus bizarres qu’on a trouvés : des posters de Star Wars, des tabourets, un tapis de billard…
Lou : Une besace, pratique et légère.
Joséphine : Un grand sac à dos de randonnée ou une valise à roulettes assez grande. Idéalement, un sac à étages avec des compartiments !

Qu’est-ce qui est vital dans votre sac ?
Dora : Des cigarettes, une trousse de secours.
Ali : Ma santé, des démarches faites pour que ça ne recommence pas à zéro.
Lou : Rien : demain si je le perds, ce n’est pas si grave que ça.
Joséphine : Des ciseaux, une lime à ongles, une bouteille d’eau, des barres de céréales, des biscuits. Comme disait ma grand-mère : il faut toujours en avoir sur soi !

Que représente votre sac dans votre vie ?
Dora : Un moment dans ma vie qui ne va pas durer j’espère. Aujourd’hui, c’est un compagnon, dans le futur, ce sera un souvenir.
Ali : Pas grand-chose actuellement.
Lou : C’est un endroit où mettre mes affaires, je n’ai rien de précieux dedans.
Joséphine : C’est comme une carapace de tortue, toute ma vie est dedans. Je ne suis pas lente comme une tortue pour autant ! Tu marches à côté de moi, je te dépasse !

Avez-vous beaucoup de choses à porter dans votre sac ? (au sens propre ou figuré)
Dora : Non, ça rentre et ça sort.
Ali : Non, mais après j’aurai beaucoup de choses à mettre dedans par rapport au vécu. Mais par rapport à ma situation, je n’ai plus rien. Ce sont des expériences qui pourraient le remplir et le rendre trop lourd.
Lou : Je voyage léger parce que même pour entrer dans un magasin, ils regardent tout.
Joséphine : Déjà les bouquins et de quoi écrire. J’aime dessiner.

Quelle différence y-a-t-il dans votre sac entre le 6 et le 30 du mois ?
Dora : Le 6, ce sont des moments de joie, le 30 des moments de tristesse. Le 6, on a des habits propres, le 30 ils sont sales.
Ali : Pour moi, il n’y en a pas.
Lou : C’est la même chose, peu importe, ce qu’il y a dans mon sac n’est pas représentatif.
Joséphine : C’est du pareil au même, il est toujours plein. Les autres me prennent pour les Galeries Lafayette : ils me demandent des vêtements, des yaourts, …

Vaut-il mieux un sac trop lourd ou trop léger ?
Dora : Trop léger, ça fait moins de trucs à porter.
Ali : Si vous entamez votre sac avec des problèmes, il est lourd. Si vous mettez juste le mot logement, il est léger !
Joséphine : J’aimerais bien la baguette de Merlin l’Enchanteur. Comme ça, tout rentre dedans et ça reste léger. Je ne vais pas me balader avec ça toute la journée. Je vais chez un cafetier qui me connait pour déposer mon sac pour me déplacer avec le minimum, un duvet, mes petits sacs.

Quelles sont les aides que vous aimeriez pour améliorer votre sac ?
Dora : Qu’on le remplisse d’argent, juste pour vivre correctement, une vie normale. J’aimerais avoir une machine à remonter le temps, je changerais tout ce qui m’est arrivé. Je serais allée à l’école, à la fac mais avec mon état d’esprit de maintenant.
Ali : Un logement, un abri, un lit, un lieu où se poser. Se nettoyer la face si ce n’est pas possible de prendre une douche. Mon but, c’est d’aller chercher du travail. Un logement indépendant, c’est le luxe. C’est l’institution, c’est l’Etat qui est responsable quand vous voyez les appartements vides. Je serais prêt à prendre un appartement délabré et à le retaper !
Lou : Un accès à une bagagerie qui serait accessible tout le temps, comme un casier.
Joséphine : Il me faudrait une consigne pour mes sacs la journée.

Selon les chiffres de la Métropole de mars 2020, environ 3 000 personnes seraient sans-abris à Lille soit 1 800 ménages. Une augmentation de 3% par rapport au décompte fait en mars 2019.

*Pour garantir l’anonymat des personnes, les prénoms ont pu être modifiés ou remplacés par le surnom choisi par la personne.